Un bon arrangement vaut mieux qu’un mauvais procès

Photo Mark Henley/Panos Pictures.

Les statistiques l’attestent. Les entreprises recourent de plus en plus souvent à la médiation pour régler leurs diférends. Réputée bien au-delà de nos frontières, l’avocate genevoise fait l’éloge de cette gestion des conflits qui se révèle moins coûteuse, moins chronophage et généralement plus satisfaisante que la voie judiciaire

Texte Christian Rappaz

Brosser le portrait de cette polyglotte flirtant avec la soixantaine prendrait une page entière tant les titres, les compétences et les succès de Birgit Sambeth se sont empilés au cours de ses trente-cinq ans de carrière. Sa renommée de médiatrice en matière civile, commerciale et pénale est internationale. En témoigne son activité de professeure en la matière aux Etats-Unis, en Allemagne, en Italie en plus de l’enseignement qu’elle donne à l’Université de Fribourg ainsi qu’au Graduate Institute de Genève. Ce parcours prestigieux révèle une femme débordante d’énergie et une avocate passionnée qui a mené sa carrière tout en s’occupant de ses deux fils, aujourd’hui adultes.

En décrétant qu’un bon arrangement vaut mieux qu’un mauvais procès, c’est carrément à Honoré de Balzac que vous vous opposez. Un peu présomptueux, non?

(Rire.) Je n’ai pas cette prétention. Au fond, nous disons la même chose mais différemment. Pour lui, «un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès».
Mais dans les deux cas, quel que soit le qualificatif qui l’accompagne, l’arrangement prime sur le procès. En tant que médiatrice, je préfère malgré tout ma citation.

Expliquez…

Le propre de la médiation est de chercher un accord qui réponde à l’intérêt des parties et qui soit le plus sage possible. Dans l’idéal, qu’il permette d’apaiser les tensions et favorise la reprise du dialogue. Si vous continuez à en vouloir à l’autre, ce n’est pas un accord sage. En médiation, on cherche à préserver les intérêts des deux camps alors qu’un procès se borne souvent à les renvoyer dos à dos en prononçant un verdict gagnant-perdant (win-lose), voire perdant-perdant.

Il semble que les entreprises, les PME en particulier, optent désormais pour la médiation plutôt que pour la voie judiciaire pour régler leurs litiges. Comment expliquer ce revirement?

Pas seulement les entreprises. Les particuliers, les politiques, les multinationales et même les Etats font de même. Les gens se rendent compte qu’une médiation, si elle est réussie, possède de nombreux avantages. Contrairement à l’avocat, le médiateur n’est pas le porte-voix d’une partie. Sa mission est d’aider ses interlocuteurs à trouver eux-mêmes une solution à leur différend. Au départ, le schéma est toujours un peu identique. Un camp revendique 10 et l’autre veut en donner 0. En cas de procès, le juge finira le plus souvent par leur attribuer autre chose, voire 5 chacun. Ils auront tous les deux perdu dans l’aventure. J’utilise une figure en forme de morceau de fromage pour incarner ce processus, selon l’adage «n’en faites pas tout un fromage» en parlant d’un conflit. En fonction d’où il se place, l’un voit la pièce carrée, l’autre rectangulaire et le juge, placé au-dessus, rend une décision triangulaire. Pour la petite histoire, cette métaphore me vaut le surnom de «the lady with the piece of cheese» dans le milieu.

On ne parle pas de réalité comme dans le système judiciaire mais de perception de réalité. Pour qu’une médiation ait une chance d’aboutir, il faut que chacun intègre et accepte l’idée que l’autre n’a pas la même perception de la réalité

Et en quoi une médiation est-elle différente?

l s’agit d’abord de cerner ce que chaque partie revendique et ce qu’elle est prête à donner. A partir de là, à force d’arguments, on les incite à quitter peu à peu leur position pour réfléchir en termes d’intérêts, de besoins, de risques, d’opportunités, de valeurs, d’alternatives, d’options et de continuation d’une relation. Avec un procès, une relation que vous avez patiemment construite peut être rompue brutalement et définitivement. Dans une médiation, nous prenons tous ces éléments en compte et les analysons un à un. On ne parle pas de réalité comme dans le système judiciaire mais de perception de réalité. Pour qu’une médiation ait une chance d’aboutir, il faut que chacun intègre et accepte l’idée que l’autre n’a pas la même perception de la réalité.

Le coût d’une médiation est sans doute sensiblement inférieur à celui d’une procédure judiciaire…

Mais pas que. Elle permet aussi un gros gain de temps. J’ai récemment agi dans un litige à plusieurs centaines de millions de francs qui a été réglé en vingt-six heures. Par voie judiciaire, une procédure, complexe ou pas, dure facilement six ans lorsque les trois instances sont alertées (tribunal de district, cantonal et fédéral). Une période durant laquelle vous aurez moins ou plus du tout de loisirs, beaucoup de soucis et pas mal de perturbations émotionnelles. Sans compter que, dans six ans, vous aurez sûrement autre chose à faire.

Revenons au coût si vous le voulez bien.

Concrètement, cela commence par une séance individuelle de préparation de soixante à nonante minutes avec toutes les parties et leurs avocats s’il y en a. Par visioconférence, téléphone ou à mon étude. Puis je demande à chaque partie un document décrivant sa position, qui sera partagé avec le camp d’en face, puis un second évoquant ses intérêts ainsi que sa vision de l’affaire et la manière de la résoudre, qui reste totalement confidentiel. S’ensuit une séance de préparation avec chaque partie, totalement confidentielle elle aussi, où je vais challenger le, la ou les participants, histoire de les préparer à la séance conjointe. Enfin, une séance conjointe de médiation a lieu, offrant un cadre secure de discussion. Si une seconde séance conjointe est nécessaire, la procédure prendra une vingtaine d’heures, facturées entre 200 et 500 francs l’unité selon la nature du différend et sa complexité. Si vous réfléchissez en termes d’action judiciaire, cela peut vous coûter au-delà de 50 000 francs alors que, avec 5000 francs, vous aurez peut-être une médiation réussie. Cela ne vaut-il pas la peine d’essayer?

Au-delà de trouver un terrain d’entente, c’est quoi une médiation réussie selon vous?

On parle de succès lorsque les parties s’entendent sur leurs désaccords et sur la manière de les résoudre. Cela signifie qu’elles se sont parlées et écoutées, que la communication a été rétablie. Le graal, c’est quand les deux sont proches d’en venir aux mains puis partent bras dessus, bras dessous quelques heures plus tard. Mais avant de boire un café et de se serrer la main, il y a parfois de grosses explosions.

Vous connaissez forcément l’échec aussi…

Nous avons des statistiques nationales à ce sujet. Dans les médiations commerciales, il y a environ 20% d’échecs.

A quel moment fait-on appel à vous?

En général, quand tout est bloqué ou lorsque la procédure judiciaire est enlisée.

Et quel est le cas le plus courant?

Celui d’une société familiale, ou d’une PME, que papa a eu la bonne idée de partager 50-50 avec deux enfants qui doivent travailler ensemble malgré leurs dissensions. Ou dans le cas d’une fratrie, de savoir qui va garder la boîte et combien celle-ci vaut-elle. Ou encore les conflits autour de contrats entre clients et fournisseurs, de disputes entre les organes dirigeants et les actionnaires. Il arrive qu’un individu soit à la fois actionnaire, directeur général, membre du conseil d’administration et en instance de divorce avec une épouse impliquée dans la société familiale. Ce sont en résumé les affaires les plus courantes, en sus des problèmes de droit du travail, de bail, voire de construction.

Je veux engager une médiation, comment procéder?

Vous allez sur un moteur de recherche et vous tapez «Fédération suisse de médiation (FSM)» ou «médiation Genève», «Vaud», «Valais», etc. Vous tomberez sur le registre correspondant avec les coordonnées des médiatrices et des médiateurs accrédités. La Chambre suisse de médiation commerciale (CSMC) et la Fédération suisse des avocats (FSA) possèdent également leur registre.

Bio express

  • 1980 Licence en droit à l’Université de Genève. En 1986, elle obtient un Master of Law in International Banking and Finance à la Boston University (USA).
  • 1997 Médiatrice certifiée en matière civile, commerciale et pénale. Au fil des ans, nombreuses accréditations en médiation (OMPI, CEDR, Londres, Gouvernement genevois, Cour d’appel Vaud etc.).
  • 2005 Après avoir travaillé à Boston, Chicago et Bâle, l’ancienne juge suppléante des tribunaux genevois est devenue associée au sein de l’étude Altenburger legal + tax, cabinet réputé basé à Genève, Zurich et Lugano.
  • 2019 Médiatrice accrédités dans le secteur de la santé, Genève.
  • 2021 Présidente de la Fédération suisse des avocats jusqu’en 2023.

Quelle est la différence entre une médiation et un arbitrage?

La médiation est une négociation structurée et facilitée par un tiers neutre et indépendant qui assiste les parties à trouver elles-mêmes une résolution à leur conflit. Il n’a pas de rôle décisionnel, ce, par opposition à la justice étatique ou à l’arbitrage, sorte de justice privée, où l’arbitre et les règles de procédure sont choisis par les parties

En quoi consiste la formation de cette profession qui ne cesse d’attirer des candidats?

Les effectifs ne cessent en effet d’augmenter. Il existe une structure dans certains cantons qui dispense une dizaine de modules de trois jours étalés sur une année en plus d’un stage professionnel. A la fin, cette institution délivre une accréditation que vous pouvez faire valoriser auprès des entreprises, organismes ou ONG. Avant de se lancer, il faut être conscient que c’est une profession d’indépendant qui exige d’aller chercher les affaires soi-même et de délivrer un service éthique et de qualité.

Une année de formation, n’est-ce pas un peu court?

Le programme est assez dense et concentré. Dans la très grande majorité des cas, les candidats ont déjà une formation de base. On dénombre pas mal de psychologues, de travailleuses et travailleurs sociaux, d’architectes, même d’employés de banque. Autant de futurs médiateurs et médiatrices qui vont opérer pour leur compte ou à l’intérieur d’un organisme.

Il faut savoir qu’environ 30% des avocats quittent la profession dans les dix premières années pour se consacrer à d’autres activités.

Des avocats, comme vous aussi?

Il y a effectivement quelques juristes, certains de renom. Ainsi, lors de mon passage à la présidence de la FSA, entre 2021 et 2023, j’avais à cœur, notamment, de mettre sur pied une excellente formation de médiateur destinée à la profession. Ce qui a été fait à l’échelle du pays et qui tient toutes ses promesses puisque les sessions affichent complet. C’est très positif car, pour moi, un avocat qui ne sait pas ce qu’est la médiation ne peut conseiller son client de manière adéquate en lui offrant d’analyser toutes les alternatives pour prévenir, gérer et résoudre les différends.

Cette formation spécifique, c’est pour inciter les jeunes avocats et avocates, trop nombreux, à changer de voie?

En clair, vous vous demandez s’il y a trop d’avocats en Suisse? Je ne crois pas. La vie se complexifie de plus en plus, il y a toujours plus de lois et de règlements. Regardez les dernières votations: avez-vous vous-même compris quelque chose à la réforme du 2e pilier? Et puis, il faut savoir qu’environ 30% des avocats quittent la profession dans les dix premières années pour se consacrer à d’autres activités. Dans certains pays, en Italie pour en citer un, des avocats exercent parfois une deuxième profession, chauffeurs de taxi par exemple, pour assurer leur revenu. Ce n’est pas encore le cas chez nous, même si de plus en plus de mes confrères vivent de cas soumis à l’assistance juridique. Ce n’est pas facile de se faire un nom.

Pourquoi ce goût pour la médiation?

Cela remonte à l’époque où j’étais juge suppléante auprès de tribunaux genevois. A ce titre, je rendais des décisions en sachant qu’elles ne satisfaisaient pas totalement les protagonistes. J’ai alors commencé à rechercher les intérêts des uns et des autres, à réfléchir en termes d’opportunités et de risques et à les inciter à trouver des solutions négociées. Ce n’était pas compatible avec ma fonction et c’est à ce moment-là, en 1997, que j’ai appris l’existence de la médiation. J’ai tout de suite su que c’était ma voie.

Après vingt-sept années d’expérience, vous anticipez bien sûr tous les conflits qui pourraient surgir dans votre vie professionnelle et privée?

Malheureusement pas. Trouver la bonne distance émotionnelle dans nos propres affaires n’est pas chose aisée. A vrai dire, je suis un peu comme le cordonnier du proverbe. Pas toujours très bonne pour défendre ma cause de manière adéquate.

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